Jardin botanique fruitier

Robert Kran, Avapessa

Le Jardin botanique fruitier d’Avapessa

« Ce jardin regroupe sur près de 3 hectares une collection de plus de quarante genres de fruits comestibles, avec de nombreuses variétés rares en provenance de toutes les parties du monde, à l’exception des plantes tropicales. » (jardinfruitieravapessa.com)

C’est la visite du jardin de Robert qui a amorcé mon voyage autour de l’arboriculture corse. Je me suis rendue à Avapessa pour réaliser un documentaire à son sujet. Lorsque j’ai rencontré Robert, âgé de 80 ans, j’ai été impressionnée par l’énergie infinie qu’il dépense pour faire visiter son jardin. Je vous laisse découvrir son histoire dans cet interview : d’un rêve d’enfance à un jardin de collection.

Rêve d’enfance

L’origine de ce jardin fruitier, c’est l’accomplissement d’un vieux rêve d’enfant. Je suis natif d’Alsace, mes parents avaient un jardin, j’habitais une petite ville industrielle entourée de forêts. La forêt, c’était un peu notre survie à l’époque. On s’y réfugiait pendant les bombardements dans ces années-là, 1944-1945. Les deux années qui ont suivi, il n’y avait plus d’électricité, il n’y avait plus d’eau, il n’y avait plus de gaz : on allait dans la forêt chercher le bois mort pour se réchauffer. On vivait dans une espèce de petite autarcie. Et nous, en tant que gamins, on allait piocher dans les jardins qui entouraient nos maisons, il y avait plein d’arbres fruitiers, des mirabelles, des pêches, etc. Et donc j’ai toujours rêvé d’avoir un jardin à moi.

Pourquoi la Corse ?

Extrait d'interview audio

Découverte en parachute

En rentrant de l’armée, j’ai cherché un job, j’en ai trouvé un beau. Je vendais des aciers spéciaux aux industriels. Et après une quinzaine d’années, un jour où je rentrais de Bâle chez un client en Suisse, je me suis retrouvé tout d’un coup, après presque une centaine de kilomètres, devant chez moi et je n’avais plus aucun souvenir des cent derniers kilomètres que je venais de parcourir.

Mes pensées étaient complètement ailleurs, et je roulais pour ainsi dire en automatique. Et là ça m’a fait peur, je me suis dit « bon dieu, j’aurais pu tuer des gens, avoir eu un accident : il est temps que je tourne la page ». J’ai cherché un autre job, je regardais du côté de la Corse et j’ai trouvé un boulot de directeur de village de vacances. C’est comme ça que je suis arrivé en corse en 1978 et je n’en suis plus reparti. 

Les prémices du jardin

J’avais essayé à l’époque de faire un jardin, j’avais débroussaillé les ronces de deux mètres de haut d’un jardin à l’abandon. J’ai bien mis deux ans pour débroussailler tout ça. Il y avait aussi des murs écroulés, des restes de restanques. C’est la troisième année que j’ai pu commencer à planter. Il y avait une petite source et un bassin donc tout ce qu’il fallait. Les anciens m’avaient dit qu’ici il y avait toujours eu de l’eau.

Il se trouve que la première année, il y a eu une sécheresse exceptionnelle, et je n’ai pas eu d’eau pour arroser mes premières plantations, qui sont mortes. J’ai recommencé quand même l’année suivante, mais il y a eu un troupeau de chèvres qui ont trouvé un passage et qui m’ont tout massacré. En plus, on a forcé la porte de la maisonnette où il y avait mes ustensiles et machines. Alors du coup j’ai laissé tomber.  

C’est seulement dans les années 1995/1996, quand j’ai réussi à avoir cet espace actuel et j’ai recommencé le jardin. J’avais du terrain et de l’électricité, j’ai pu faire du forage, donc j’avais de l’eau.

Observation du changement climatique

Est venue se greffer au début des années 2000, l’observation du changement climatique. Ici c’était facile à voir, car au début il y avait de la neige tous les hivers, et d’année en année, j’ai vu cette limite de la neige qui remontait. Elle est aujourd’hui pratiquement de 500 mètres plus haut.

En plus j’ai observé qu’il y avait de plus en plus d’arbres fruitiers, qui après les sécheresses estivales, quand arrivaient les premières pluies d’automne, se remettaient à fleurir et refaire des feuillages. Bien sûr, tout cela était grillé par la suite quand le jour baissait, quand la température chutait, quand les premières gelées matinales arrivaient…  

Ces mêmes arbres refleurissaient au printemps suivant mais beaucoup moins. Et j’ai observé certains arbres qui ont fait ce phénomène trois fois de suite, et après cette troisième fois, au printemps suivant il n’y avait presque plus de fleurs, les arbres avaient de la peine à refaire du feuillage. Là je me suis dit qu’il y a des chances qu’ils meurent.

C’était une époque où j’ai pu lire les premiers rapports du GIEC, qui prévoyaient que la Corse aurait le climat de la Tunisie d’ici 2050. Il y a deux ans, ils ont revu leurs pronostics, ils disent maintenant que ce sera 2030/2035. Les évènements que j’observe confirment.

Anticipation et acclimatation

Extrait d'interview audio

Les plans onéreux

Ceux qui ont germé, à l’automne je les mets sous une serre froide, où l’on gagne quelques degrés par rapport à l’extérieur. Là aussi, il y avait des plantes qui ne résistaient pas. Et celles qui supportaient ces températures, je les gardais pendant minimum 2 ans sous serre froide en hiver et sous serre ombragée en été. Et ceux qui résistaient, je les plantais à l’extérieur. Généralement l’été se passait bien, surtout que je les surveillais attentivement. 

Mais quand elles avaient passé leur premier hiver en extérieur, même en mettant un petit voilage, il n’y en avait aucune qui résistaient à ces températures, ces gelées matinales. Alors bien sûr les premières fois j’étais déçu, mais j’ai eu la chance d’observer que de temps en temps au printemps suivant, il y a des rejets qui repartaient de leurs souches. J’ai observé après que ces rejets développaient une résistance au froid. Il y en a même carrément comme le capoquier, qui ont pris le rythme de nos arbres à feuillage caduc.

Comment entretiens-tu ton jardin ?

Quand on regarde ce jardin, la première chose qu’on se dit c’est que ce n’est surtout pas un jardin à la française où tout est taillé, tout est net. Je dirais même que c’est complètement l’inverse. Je dirais que c’est le jardin de la non-intervention. Le jardin du vivre et du laisser vivre. Mon exemple c’est toujours la forêt : dans la forêt personne n’intervient, on ne taille pas, on ne traite pas, on ne labour pas… et pourtant tout pousse à merveille.

Extrait d'interview audio

Le principe des tailles de fructification

Extrait d'interview audio

French paradoxe

Les auxiliaires

Si on veut cultiver de cette manière, il faut avoir des auxiliaires. Mes premiers auxiliaires, moi, je considère que ce sont les oiseaux. Pour attirer les oiseaux, j’ai planté des arbustes sauvages, des aubépines, des sureaux, etc. Ça ne veut pas dire que les oiseaux ne vont pas manger d’autres fruits. On trouve quelques petites solutions : quand les premières cerises mûrissent, j’attache quelques rubans dorés dans l’arbre, on est tranquille pour quelques jours. Mais de toute façon, les fruits dans le haut de l’arbre, je n’arrive pas à les cueillir et il faut bien qu’ils vivent aussi [ces oiseaux], c’est le principe du vivre et laisser vivre. 

Pour tout ce qui tombe à terre, j’ai des poules, des canards… J’ai aussi deux cochons vietnamiens, que j’ai voulus, car ils mangent tous les fruits mûrs qui tombent à terre, enfin tous… ceux qu’ils arrivent à manger ! Et en mangeant ces fruits, généralement piqués, qui mûrissent en premier, ils éliminent les parasites qui essayent de s’y reproduire. C’est un équilibre qui se crée comme dans une forêt.

Une intervention indispensable

Du point de vue entretien, on ne taille pratiquement pas. Les branches mortes, puis la vigne, les kiwis, tout ce qui est plante grimpante, il faut les tailler, mais chaque taille est une blessure, donc je laisse faire la nature comme dans la forêt, j’interviens le moins possible. 

Il y a quand même une chose qu’on fait, qui ne se fait pas dans la forêt : je laisse pousser les herbes jusqu’à fin juin, début juillet, ils sont montés en graine et commence à sécher, et pour des raisons de sécurité incendie, on fauche, mais tout reste sur place, principalement autour des arbres. Ça fait un paillage qui préserve l’humidité et limite les arrosages puis en se décomposant, ça nourrit le sol. C’est une intervention mécanique indispensable.

Peut-on pratiquer l'acclimatation partout ?

Extrait d'interview audio

Les plantes ont toujours voyagé

Les plantes ont toujours circulé. Le meilleur exemple, c’est quand il y a une île volcanique qui naît au milieu de l’océan indien ou pacifique, dès qu’elle est refroidie, il y a des plantes qui poussent, amenées par les oiseaux, les tempêtes, les courants marins.

Contact

Robert Kran
Domaine du Gros Chêne
107 Sciarelli, 20225, Avapessa
contact@jardinfruitieravapessa.com
04 95 61 81 91